Yumi et la tortue
Par L’Animatelier Nomade
Par L’Animatelier Nomade
Il était une fois…
Yumi, un jeune enfant de 5 ans très curieux mais qui s’ennuyait beaucoup à l’école, alors il passait ses jours à voyager où bon lui semblait en compagnie de toutes sortes de créatures plus fascinantes les unes que les autres.
Il était heureux de voyager entre les mondes, pour lui c’était quelque chose de tout à fait naturel, mais tous disaient qu’il était sans cesse dans la lune, indiscipliné, bon à rien. Souvent, il souffrait de ce que disaient les autres, mais au fond de lui-même il savait que dans ses voyages il apprenait bien plus que ce que la maîtresse d’école pouvait lui enseigner, il savait qu’il accédait à une sagesse bien plus belle que celle qui signifie rester tranquille sur sa chaise sans déranger, il savait que ses amis de voyage étaient tout autant précieux et réels que sa famille d’ici et seraient eux aussi toujours là pour l’aider.
Passèrent encore quelques saisons où Yumi, lorsqu’il n’était pas à l’école et qu’il ne voyageait pas dans les mondes, put vivre dans la joie et l’émerveillement des baignades dans la rivière. Il adorait sauter avec ses copains depuis le plus haut rocher et passer du temps sous l’eau fraîche à chercher le caillou rare, celui qui brille pour sa collection. Il était aussi un formidable constructeur de cabanes, il savait toujours trouver les meilleures branches et les arbres les plus accueillants pour les construire. Il avait également beaucoup de plaisir à conter ses voyages à ses copains et à sa famille. Tous disaient qu’il avait une imagination débordante. Yumi avait beau dire que ce qu’il racontait il l’avait vécu, mais personne ne le croyait.
Alors Yumi commença à douter. Peut-être que c’est bel et bien mon imagination ? Peut-être que tous ces lieux que j’ai visités, que toutes ces créatures que j’ai rencontrées n’existent pas ? A force de se poser ces questions, à force de douter, arriva le jour où il devint impossible pour lui de partir voyager dans les mondes. Petit à petit ses amis rencontrés alors devinrent de lointains et flous souvenirs d’enfance.
Plus les saisons passaient et plus Yumi se sentait vide, triste. Il se posait beaucoup de questions et jamais personne n’arrivait à lui répondre. Il ne comprenait pas pourquoi en grandissant tout semble plus difficile, même jouer était devenu difficile. Il ne comprenait pas pourquoi les gens tombaient malades, pourquoi l’homme pollue la terre, pourquoi est-ce qu’il est si important d’apprendre un métier.
Le monde autour de lui était devenu bien gris, les tempêtes étaient aussi plus fréquentes, les hivers bien plus froids et les étés bien trop secs. Les gens étaient tous maintenant entourés d’un halo gris.
Yumi se sentait impuissant face à cela, il en était même révolté, trouvant cette situation injuste, cruelle ! Une boule de colère l’habitait constamment.
Une nuit, Yumi, dans un rêve, rencontra à nouveau ses compagnons d’alors, dans ce rêve ils lui rappelèrent que son rôle est d’aider à réenchanter le monde, mais qu’avant il devrait partir voyager sur le dos d’une tortue.
Lorsqu’il se réveilla, Yumi avait le coeur apaisé. La boule de colère avait disparu.
Et lorsqu’il ouvrit ses volets ce matin-là, il put constater l’étendue des dégâts, conséquences de plusieurs semaines de pluie et de vents violents. Tout était inondé et il put voir comme paysage un grand lac plutôt que le village et la vallée. Il a eu de la chance que sa maison se situe sur les hauteurs. Aussitôt, il se précipita dehors pour aider ceux qui en auraient besoin, mais une gigantesque tortue arriva face à lui et lui dit qu’il est venu le temps de partir. Yumi essaya d’expliquer qu’il y a des gens à sauver. La tortue lui dit d’un ton autoritaire »C’est leur choix d’être prisonniers des eaux, maintenant monte sur ma carapace ».
A ce moment-là, Yumi se souvint de son rêve et sourit.
La tortue était plutôt silencieuse et très secrète. Jamais elle ne répondait aux nombreuses questions de Yumi, mais il se sentait en parfaite sécurité sur son dos.
D’abord la tortue nagea longtemps. Yumi, couché sur son dos, regardait le ciel. Le vent donnait toutes sortes de formes aux nuages, il put même reconnaître certains de de ses compagnons d’autrefois qui lui faisaient signe en lui souriant. Puis la tortue plongea. Le garçon était maintenant submergé par les flots. Il eut très peur, il but la tasse à maintes reprises, plusieurs fois il crut mourir. Il y avait beaucoup de remous sous l’eau, de courant, et il devait s’agripper ferme au coup de tortue… mais au bout d’un temps qui lui parut une éternité, il se rendit compte qu’il pouvait respirer sous l’eau, alors il s’apaisa et l’eau se fit plus douce. Il reconnut Naïa, une créature sublime avec laquelle il jouait beaucoup lorsqu’il était petit. Dans un sourire, elle le chatouilla de ses longs cheveux et nagea joyeuse à côté de lui.
La tortue sortit de l’eau, ses pattes foulaient maintenant la terre. Elle avançait très lentement. Yumi, qui commençait à s’ennuyer, lui demanda d’avancer plus vite mais elle lui répondit qu’il était un temps à contempler.
Il y avait de la terre et encore de terre à perte de vue. Yumi ne comprenait pas ce qu’il pourrait bien contempler. Au fil des jours, il s’aperçut que pas un centimètre de terre ne ressemblait à un autre, il put contempler des formes et des jeux de lumière et de teintes absolument superbes. Un matin, alors qu’il essayait d’oublier la faim qui lui tiraillait le ventre, il reconnut l’un de ses copains. C’était une sorte d’immense serpent à tête de chien que Yumi, lorsqu’il était enfant, avait surnommé Wouaf. Wouaf s’amusa un temps à lancer des boules de terre à Yumi et ainsi commença une grande bataille qui se termina au coucher du soleil quand Wouaf disparut dans le sol.
Maintenant, le garçon était recouvert de terre de la tête aux pieds. Il put pleinement sentir son parfum, sa douceur sur sa peau. Il n’avait alors plus du tout faim. La terre le nourrissait.
Au fur et à mesure que le paysage défilait, la terre devenait de plus en plus noire, il faisait de plus en plus chaud. Un volcan semblait veiller sur ce paysage, il était là, paisible, en crachant un peu de fumée. Plus ils s’approchaient du volcan, plus celui-ci grondait. Yumi demanda à la tortue si elle était sûre de vouloir aller par là. Elle ne dit rien mais quand elle commença à grimper sur les flancs du volcan, Yumi commença à avoir très peur, des rivières de lave coulaient à côté d’eux. Et c’est en regardant l’une de ces rivières qu’il le vit… Lubvi, oui, c’était bien lui, il l’avait rencontré une fois il y a bien longtemps. Il se sentit alors rassuré. Lubvi était comme un long serpent de lave avec une grosse tête et Yumi c’était toujours dit que cette créature-là était un véritable dragon du feu. Lubvi encerclait Yumi. La tortue s’arrêta auprès du cratère bouillonnant et sans que Yumi ait eu le temps de dire quoi que ce soit, le dragon s’enroula en lui et l’emmena dans la lave du cratère. Le garçon avait pleinement confiance, il n’eut pas peur. Il se dit que s’il avait pu respirer dans l’eau, il survivrait au feu.
Il sentit le feu le consumer, le transformer, il se retrouva cendre et, dans une explosion, il fut expulsé du volcan et arriva dans les airs sur le dos de la tortue qui à présent volait. Il se sentait profondément bouleversé mais transformé. Il avait l’impression qu’il venait de vivre une naissance, tout lui parut différent, plus beau, plus pur. Il s’émerveilla des caresses de l’air sur sa peau et ses cheveux, il se surprit à danser sur le dos de la tortue dans la mélodie du vent en compagnie de quelques sylphes. Il se sentait léger, rayonnant, il avait maintenant devant lui tous les possibles.
Le voyage dans l’air était très agréable et joyeux mais la tortue décida d’y mettre fin en atterrissant près d’une grotte. Elle demanda à Yumi de descendre et de l’attendre à l’intérieur de la grotte. Elle n’en dit pas plus.
Yumi resta dans le ventre de la terre. Il y était bien. Il avait maintenant la compagnie du silence et le pouvoir de l’écouter. Ce fut son plus précieux compagnon. Il se passa plusieurs hivers avant que la tortue ne revienne pour lui dire de continuer le chemin sans elle.
Le jeune garçon remercia la tortue et, joyeux, s’engouffra au fond de la grotte par un passage souterrain. Il rampa longtemps sous la terre avant de ressentir et apercevoir une douce lumière qui le mena à la sortie.
Il put voir devant ses yeux une verte vallée s’étendre entre des montagnes qui touchent le ciel. Il marcha entre des rizières, les habitants l’accueillirent avec chaleur et sourires et le guidèrent vers un lieu extraordinaire.
Là, Yumi sentit s’illuminer et vibrer son coeur, son ventre, ses pieds et sa tête. Il n’avait encore jamais vu pareilles merveilles.
Il y avait là, devant ses yeux, des objets magnifiques qui rayonnaient une énergie de toute beauté. Des pierres par centaines, ces merveilles de la terre aux couleurs si pures, aux formes si particulières. Il croisa les regards de fascinantes statuettes qui le remplirent d’émotion. Au-dessus de sa tête dansaient des drapeaux imprégnés de puissantes prières et par-ci par-là des bols magiques et chantants. Les sons et les vibrations qui émanaient de ces bols semblaient représenter la beauté de l’Univers.
De chaque objet rayonnaient des couleurs, chaque objet semblait être habité, chaque objet chantait à celui qui sait l’écouter.
Le tout était baigné d’une fumée purifiante d’herbes délicatement choisies.
Il sut alors que chacun de ces objets étaient là pour enchanter le monde. Il sut que celui qui en choisit un avec son coeur aura l’opportunité d’avoir une aide précieuse afin d’Etre dans la joie de l’équilibre.
Il sut alors qu’à partir de maintenant, il fera voyager ces trésors jusqu’aux êtres auxquels ils sont destinés, qu’il sera une sorte de »passeur » de Magie.
Puis il s’approcha d’un bol, le prit dans ses mains vibrantes, instinctivement il tapa dessus avec le maillet posé à côté. Et là, quel ne fut son émerveillement lorsqu’il vit sortir du bol dans un son si pur, la douce Emala, son amoureuse d’enfance avec laquelle il a si souvent voyagé à travers les mondes.
Aurore, hiver 2018